Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Encyclopedia Novalia
Publicité
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 11 591
11 mai 2008

L'émergence de la conscience imaginaire -Prélude (I)

Il est sous la conscience un gisement narratif. Une voix y prend source d’où s’écoulent d’indicibles contes. Ce sont les portraits fantômes de l’être, au plus singulier, qui se dessinent là au fil de l’existence. Cette voix pourrait, par exemple, nous raconter ceci :

Je marchais lentement à l’écart des remparts, au crépuscule. Un étranger, venu du désert, vint à ma rencontre. Il était vêtu de blanc. La jeunesse de ses traits soulignait la gravité de son maintien. Il me tendit une lettre. Sa main droite quittant sa hanche dévoilait à son flanc la même blessure que je portais au front.

Sa compagne, restée en retrait, éveillait en moi des chants très anciens, que j’ignorais avoir jamais appris. Je sus aussitôt par eux que Celui qui était sorti du désert et qui maintenant errait aveugle dans les ruelles de la cité venait des lointaines contrées terrées dans ma mémoire. 

La plaie en moi se rouvrit. Je n’étais pas d’ici. L’attachement que je portais à la cité s’était mué en une intolérable captivité. J’ignorais depuis combien de temps j’en étais prisonnier, ce qu’il était advenu de moi. Si un court instant s’était écoulé, ou des années innombrables.

Je résolus de me séparer du Temps, de me dévêtir de mes amitiés et de mes tâches, et de remonter au berceau de mes sens.

Après les premiers jours de la traversée du désert, ma peau desséchée se détacha de moi par lambeaux. La douleur traçait en moi des éclairs. Tout devint abîme et vertige. Par la suite, je traversai des mondes et des villes, je combattis des furies et des monstres, je rencontrai des pèlerins et des prostituées. Je revis plusieurs fois, sous d’autres traits, le Messager du désert. C’était à présent un vieillard, accompagné d’une femme pauvre, étrangement fardée, au regard trop haut, aux gestes habités d’une sourde folie. Ou c’était une chimère, l’aile droite dans la nuit, l’aile gauche dans le sang, et cette dernière prenant peu à peu les traits de son ancienne compagne. Ou un roi ivre sur une barque embrumée, caressant la chevelure brûlée d’une Dame languissante. Je retrouvai mes anciens compagnons, mes anciennes amantes, mais sous d’autres visages, d’autres âges, vers d’autres destins. Ces rencontres peu à peu tissaient la trame d’une pièce de théâtre à laquelle je me souvins avoir assisté dans mon enfance. Certains firent route avec moi, d’autres repartirent. 

J’arrivai au seuil du Jardin. Elle était là, tremblante et silencieuse. Il était un peu en retrait, prêt à ouvrir ses bras au fils retrouvé. Au pas suivant, je vacillai. Je n’ai pas su si elle s’était faite lumière de soie pour se coudre à même ma peau. Ou si, m’avançant vers lui, je m’étais l’instant d’après vu refermer les bras autour du fils enfin de retour. Je sentis tous les éclats de mon récit s’aimanter vers la cime où je me dressais, et me réduire en pure incandescence.

Cette voix, cette trame souterraine, que l’on a tenté de capter à travers ce court récit, pourrait évoquer le mythe initiatique, le royaume nomade vers où convergent les activités de l’esprit qui, en la conscience, se nomment l’Imaginaire.

C’est à découvrir les accents variables de cette voix, ses constantes et ses singularités à travers quatre aventures de l’esprit que l’on invite dans ce premier livre: le gnosticisme antique, la gnose mystique de l’Islam médiéval, le romantisme d’Iéna et le surréalisme, en faisant quelques détours par  la Renaissance. Tous les quatre partagent une vision de la destinée humaine orientée par l’imagination créatrice, qui est pour eux un mode de conscience et d’existence qui, en plus d’un point, se dessine en contrepoint de la pensée commune, rationnelle, logique, identitaire.

De cette essentielle opposition naît une vision de l’esprit et de l’existence humaine tendue entre ces deux pôles, avec bien souvent, de l’un ou l’autre côté le sentiment de la supériorité. 

Les résonances que dévoile leur mise en perspective dessinent l’ébauche d’une histoire de la conscience imaginaire que l’on tentera de raconter dans un deuxième livre. Cette perspective historique justifie que de temps à autre, un regard, plus sommaire, soit jeté sur certains artistes et penseurs de la Renaissance, qui se trouvent à la charnière de cette histoire à double battant.

Puiser le savoir, la conscience, dans l’océan de l’imaginaire, c’est prendre à contre-pied les prétentions à l’omniscience des conceptions déterministes, rationalistes ou religieuses. Il ne s’agit pas là de s’opposer à l’autre versant de la conscience humaine, à la puissance cognitive et créatrice de la raison, mais à la foi paradoxalement placée en elle, à la prétention de recourir à elle seule pour atteindre un réalisme authentique. C’est à l’identification présente de la science avec la recherche de la vérité, sous le drapeau de la preuve, à l’obscurantisme qu’une telle prétention porte en elle en rejetant hors du savoir tout un pan du réel, qu’il faudrait s’en prendre, et non à sa nécessaire participation à la quête infinie du savoir par laquelle ne cesse de s’engendrer l’homme.

Or cette critique de l’omniscience de la raison analytique peut trouver un appui, ouvert ou potentiel, dans certaines évolutions actuelles de la science, qui signent peut-être la prise de conscience de ses propres limites, et par elles peuvent amener à replacer la raison, aujourd’hui décentrée vers les lois et les prévisions, au cœur de sa dynamique créatrice. Les lieux, les frontières où s’éteint l’élan de la science et de l’analyse peut devenir alors celui d’un contact entre ce mode de connaissance et la conscience imaginaire.

Cela ne revient pas à séparer la réalité en deux territoires distincts, l’un accessible à la raison, l’autre à l’imaginaire, mais à parcourir dans les deux sens l’ensemble du réel, l’un vers l’universel, l’identité, la fonction, l’autre vers l’unique, la métamorphose, la beauté. C’est dans leur tension polaire que peut réapparaître la faille originelle de l’esprit, où l’on pourra entendre, infiniment nouvelle, la voix des anciennes pythies, délivrée des chaînes prophétiques et rendues aux éclats cinglants des révélations éphémères.

Refusant à l’imaginaire toute origine transcendante, il faut en appréhender le mode dans les divers visages de la réalité. L’unité du réel, que les conceptions déterministes veulent faire reposer toute entière sur l’universalité des lois, repose avant tout sur l’interaction universelle, sur la sensibilité, la perméabilité de chacune des manifestations de la matière au monde qui l’entoure, sur les divers processus par lesquels la matière se crée elle-même. C’est dans cette auto-organisation, cette imagination de la matière que l’on pourra peut-être observer l’imbrication des modes rationnels et imaginaires du réel qui se prolongent au cœur du psychisme.

Ayant ainsi entr’aperçu comment la matière s’imagine, on pourra peut-être mieux saisir l’origine de ce gisement narratif dont on parlait en ouverture. Fruit de l’interaction créatrice des processus imaginaires au cœur de l’esprit et de la destinée humaine, il représente un mode de structuration, d’organisation nomade de l’être, par lequel s’accomplit sa plus irréductible singularité, à rebours mais solidairement de la structuration identitaire qui fonde en l’être le sujet. Cet antagonisme solidaire entre le sujet et le singulier, par lequel l’être enracine son existence ne peut à son tour être mis à jour qu’en prenant en compte la quadruple dimension de l’être humain, à la fois biologique et culturel, social et individuel.

Ainsi la conscience imaginaire exige-t-elle, pour reprendre la place qui lui revient dans la connaissance et la transformation de la condition humaine, de ses chances et de ses périls, la réorientation des conceptions traditionnelles de la matière, de l’homme, de la liberté, de la création, qui, jointe à l’avancée constante de la raison, ouvre sur l’élaboration d’un matérialisme créateur, poétique, qui puisse exprimer l’unité ramifiée du réel dont elle porte à son tour témoignage. De cette empreinte de l’imaginaire sur le regard matériel, un troisième livre tentera de donner quelque idée.

Dès lors que l’on entrevoit le rôle fondateur du gisement narratif dans la destinée humaine, les motifs de sa résurgence dans des contextes culturels et idéologiques aussi contrastés voire antagonistes, que les gnoses, le romantisme et le surréalisme, devient plus claire.

Parce qu’il ne prend corps que dans la pointe la plus extrême de toute individualité créatrice, il est indissociable de celle-ci et comme tel ne peut donner prise à l’analyse. Mais l’unité du réel suppose aussi qu’il n’existe pas de solution de continuité entre les processus singularisant de l’imaginaire et les processus universalisant de l’analyse. Au seuil de l’imaginaire, entre les plus audacieuses aventures individuelles, un réseau d’échos, de résonances, de correspondances se tisse, qui double les récits singuliers d’un récit collectif, un mythe, vers lequel ces récits tendent sans s’y fondre jamais. C’est ce récit mythique qui forment le fil de l’histoire de la conscience imaginaire.

Entre les versants gnostique et poétique de cette histoire, un renversement d’occultation et de mise à jour semble se produire. Dans les gnoses antiques et mystiques, ce qui est visible est le récit, la trame, ce qui est refoulé est le réel, les faits matériels et spirituels qui en sont la chair. Dans la conscience poétique du romantisme et du surréalisme, la trame est occultée par son éclatement en visages infinis au cœur du merveilleux et du hasard, cependant que les faits et leurs résistances apparaissent au grand jour. Ainsi, travaillant les deux consciences l’une par l’autre, on cherchera à voir se dessiner les contours de ce récit et apercevoir de loin le cœur en fusion de l’imaginaire.

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Peut-êtr ma méconnaissance de certaines pensées orinentales en est-elle cause, mais le vide me paraît moins source qu'effort, dans le sens de ce dépouillement dont vous parlez, qui renvoie aussi au détachement de certaines ascèses mystiques. Ou alors, en allant vers le manque, vers le désir: le vide est alors appel, autre noeud symbolique de la quête sprituelle.
G
la trame c'est le nécessaire déploiement en mots, figures et symboles qui gravitent autour de la place vide. C'est du moins ainsi que je vois les choses. Le vide est indicible mais c'est lui qui est la source, ce qui suppose une positivité impensable et inconcevable du vide . En cela les orientaux en savent peut-être un peu plus que nous. Mais nous pouvons faire le chemin à condition de nous "dépouiller" préalablement d'un certain nombre d'oripeaux. GK<br /> Votre entreprise m'intéresse. Continuez!
Publicité