Surréalismes 10
Il ne suffit pas au surréalisme de retrouver d’anciens pas. Sa nécessité repose autant sur sa capacité à incarner cette permanence de l’homme au cœur même de l’époque, d’en être là l’incarnation. Le signe focal de sa modernité est son athéisme radical.
Il ne s’agit pas là d’une vérité supérieure, illusion commune aux idéalismes rationalistes et religieux. La vérité se mesure à la capacité d’intégrer le plus radicalement possible les faits, les connaissances, les désirs d’une époque et des précédentes. La connaissance scientifique comme les avancées de la pensée matérialiste ne contredisent pas l’idée de Dieu, c’est l’idée de Dieu qui n’est plus intelligible que dans l’aveuglement d’une majeure partie de la conscience moderne.
L’athéisme est quant à lui capable d’intégrer des faits modernes et anciens. Mais il ne réside pas dans la seule proclamation, non plus que dans l’invective. Il est un travail d’intégration, de métamorphoses des pensées anciennes.
Ainsi l’idée de quête gnostique telle qu’elle s’épanouira dans certaine mystique musulmane des XIIe – XIIIe siècle n’est pas transposable dans le surréalisme simplement en le décapitant de l’encombrant fantôme. Ainsi, la quête mystique n’a pas à remplacer l’Aimé mystique par l’être aimé, l’effusion en Dieu par l’effusion charnelle (d’autant que ce déplacement est proche d’être réalisé dans certains mysticismes). Libérée de Dieu, la quête perd toute linéarité et toute finalité. Elle tend à devenir une aventure composée de faits ayant les caractères des épisodes de la quête, mais qui résistent, et qui ne visent pas au salut en l’Un, mais à la rencontre de soi par la résonance sans cesse renaissante entre les visages multiples du réel.
L’athéisme dans le surréalisme est une ambition, non un fait. Ce n’est pas propre au surréalisme. C’est l’ensemble de la pensée humaine encore engluée dans les lambeaux entêtant des siècles de monothéisme, qui doit être repensé à la lumière de ce basculement. L’athéisme n’est pas une conviction, mais un travail à effectuer. Ce qui signifie aussi que les pensées anciennes, loin d’être condamnées dans l’enfer de l’erreur, gardent pour toute connaissance la valeur mise en elles par ceux qui les ont édifiées., au prix d’un déplacement fondateur.
(à suivre)