L'éveil II - Introduction (b)
3 Fractales
J'insiste volontiers sur le caractère fragmentaire de cette étude, sur les limites liées à la forte différence de potentiel entre le sujet et l'auteur. Il est temps ici de souligner les vertus de cette fragmentation, par la grâce des propriétés même de l'imaginaire.
La raison se déploie en énoncé, se décompose en concepts, chacun tendant à s'exclure l'un l'autre, l'énoncé ne pouvant se réduire à aucun des concepts qui le composent sans verser dans le pléonasme. Chaque étage des demeures logiques est clairement séparé l'un de l'autre, selon une succession de dimensions faisant échos aux liens géométriques entre point, plan et espace.
L'imaginaire se déploie en récit, se décompose en images. Mais toute image doit être appréhendée comme un récit en puissance, ou comme les fragments survivants d'un récit perdu. Chaque élément du récit est un récit à une échelle inférieure, selon une homothétie interne symbolique. Que la côte de Bretagne fut l'une des premières images du concept topologique de fractale, cette Bretagne dont la Matière constitue le terreau le plus fécond de la conscience poétique en Occident, entre autres par les cycles arthuriens, mérite d'être souligné. Le scientifique, certes, vise à la mesurer, le poète y erre.
Ainsi, le premier stade de la quête contient-il tous les suivants:
2 L'éveil est d'abord un réveil, un rappel des origines, de l'Age d'or d'avant, d'hors le temps
3 Il est aussi cri (particulièrement dans la Gnose antique): cri de douleur, conscience d'être, en la condition humaine primaire, un prisonnier
4 L'éveil brise, par son intrusion, les chaînes de la conscience commune: il est déjà un détachement, un exil.
5 Il est aussi voyage, un voyage réduit en ses pôles, origine et destinée, Ici et Là dont la conversion constitue l'essence même de la quête
6 Il est, par la rencontre avec l'Etranger, la mise en présence de l'Autre comme Soi véritable
7 Enfin, l'éveil est, déjà, le salut: ce sera d'ailleurs ce caractère de salut immédiat et inconditionnel de la Gnose antique qui scandalisa le plus le christianisme en gestation qui lui est contemporain.
Ainsi, l'étude de ce premier stade est-il une approche de l'ensemble même de la quête.
Et il en va de même lorsque l'on décompose chaque stade en ses figures symboliques.
Si tout symbole est un récit en puissance, c'est qu'il est d'abord un fait, et une émotion. Le fait central de l'Eveil est la rencontre avec l'étranger, et le sentiment, celui des retrouvailles. Fait et émotion forment ici un oxymore, l'étranger familier, et c'est sans doute là une propriété constante et essentielle de toute élaboration symbolique.
Le déploiement de ce fait central en épisode initial de la quête répond à de simples potentialités logiques: s'il est étranger, c'est qu'il vient d'ailleurs, s'il est de ma famille, c'est que cet ailleurs est ma vraie patrie. Si Là est ma vraie patrie, Ici est une illusion. Si c'est un éveil, c'est que j'étais endormi, etc.
Que la logique, mode rationnel par excellence, joue un rôle fondamental dans le déploiement de la conscience imaginaire n'étonnera que celui qui verrait entre ces deux visages de la pensée une différence de nature. Il s'agit en fait d'un retournement de sens, d'orientation, de conversion. Ce qui est décisif est de savoir qui donne le la: le déploiement le logique se fait ici au service de l'illumination poétique, découle d'elle et non l'inverse.
C'est en ce sens que l'approche la plus courante de ces pensées, l'approche disons philosophique, commençant par leurs conceptions du monde, ne peut faire que fausse route. Gnostiques et poètes ne sont pas arrivés à la conscience poétique par une réflexion sur la condition humaine. Ils ont d'abord vécu des faits spirituels, qu'ils ont déployés ensuite, pour parfois tirer de ces faits une vision nouvelle de l'homme, visions ancrées dans le contexte idéologique de leurs époques respectives, et dès lors divergentes. (voir ici : Parcours)
Seul le retour au fait initial peut permettre d'appréhender l'étrange familiarité entre elles.